Numéro 2
Cash-cash des alcooliers
Il y a quelques semaines paraissait le reportage de cash investigation :“Alcool : les stratégies pour nous faire boire”.
Le magazine d’investigation, dont le titre est évocateur, revenait sur certaines de ces stratégies, d’abord celles mises en place par le groupe Pernod-Ricard, puis, plus largement, sur le lobby pratiqué au niveau des institutions.
Notre avis
Il nous semblait important de revenir sur le difficile et impressionnant travail de cash investigation concernant la mise en lumière des stratégies alcoolières. Stratégies que l’on pourrait qualifier de stratagèmes concernant Pernod-Ricard tant la machine est bien huilée pour mener à bien deux objectifs.
Le premier consiste à communiquer sur différentes marques en jouant sur des leviers efficaces auprès des jeunes, par exemple sur ce qui semble être le parrainage par un rappeur (Oxmo Puccino) de l’une de ses marques (Chivas).
Le second consiste à se protéger juridiquement vis-à-vis du caractère a priori illégal de ce qu’ils encouragent, à savoir l’association entre alcool et musique ; le reportage nous éclairant sur les combines mises en place par Chivas à cette fin :
- Passer par des prescripteurs de tendance (“Le Bonbon”, “Konbini”) pour relayer les soirées parrainées et laissant à leur soin le fait de mettre en avant le côté musical de ces évènements.
- Rendre visible la marque via les réseaux sociaux, en faisant en sorte que cette communication soit initiée et entretenue par les artistes et les personnes présentes sur les évènements.
- Ne laisser aucunes traces contractuelles permettant de prouver d’éventuelles collaboration.
Pour Pernod-Ricard, ces moyens visent bien sûr à affirmer sa non responsabilité vis-à-vis de cette communication, en arguant que celle-ci n’émane que d’initiatives purement spontanées, sans sollicitation de sa part.
Face aux nombreux éléments mis en avant par Elise Lucet (citation de Chivas dans les chansons, remerciements sur la pochette d’album), la responsable du service « marketing responsable » précise seulement que “peut-être a-t-il (Oxmo Puccino) apprécié le whisky”. Le parrainage, mis en avant par le reportage reçoit la réponse écrite de la marque : “Nous ne demandons pas à l’artiste et aux personnes présentes de promouvoir nos marques : il n’y a aucun lien contractuel, (…) Oxmo Puccino n’avait aucune obligation de parler de notre marque”.
Du côté de l’agent de l’artiste, la défense est relativement similaire, celui-ci semble en effet justifier que “ce n’est pas contrevenir à la loi car les contenus (qui mettent en avant Chivas) sont postés sur des comptes privés et perso” ; “ce n’est pas faire de la publicité pour de l’alcool lorsque l’on est content de faire une soirée et qu’effectivement c’est Chivas qui régale” avec le classique “tout le monde fait ça”.
Nous avons bien compris les arguments avancés : aucun partenariat, la communication ne relève que d’initiatives personnelles et le fait de rendre visible une marque sur des comptes privés ne relève pas de la publicité.
Face à cette version officielle, notre observatoire a relevé plusieurs éléments qui semblent la contredire : il s’agit de 3 publicités, publiées fin 2020 par la page Facebook officielle de Chivas. Celles-ci – 1, 2, 3 – toujours accessibles à l’heure où nous écrivons ces lignes, reviennent sur les processus de fabrication du whisky. En écoutant ces publicités, nous remarquons un détail intéressant : les explications sur l’élaboration de l’alcool sont chantées par une voix qui nous semble familière et qui ressemble étrangement à celle – bien particulière – d’Oxmo Puccino.
Dès lors, plusieurs interrogations surviennent : qu’en est-il de l’absence de lien (officiel) entre la marque et le rappeur ? S’agit-t-il d’une initiative spontanée de l’artiste ? Le logo, en plein écran à la fin de la vidéo et la publication de ces publicités par la page officielle de la marque peuvent nous indiquer que non. Peut-être l’artiste aime-t-il le whisky, mais de là à chanter pour une publicité, cela semble confirmer les liens entre lui et la marque… Il serait intéressant de questionner le juge sur le respect de la loi Evin, quand une marque d’alcool utilise un rappeur, dont le public d’écoute est jeune, pour créer et chanter une publicité.
Au-delà de ces éléments précis, les justifications des différents protagonistes nous interpellent. Leur cache-cache derrière leur apparente non responsabilité (assez ironique lorsque l’on pense que le service en question s’appelle “marketing responsable”) semble indiquer qu’ils ont bien compris l’importance de déléguer la visibilité à certains relais.
L’exemple de Chivas n’est pas le premier, nous parlions déjà du concours “Your Best Riflon”, où les internautes étaient incités à poser en photo avec des articles de la marque. Nous nous interrogions à l’époque sur les liens entre le concours, ses parrains et la marque d’alcool associée (heureusement la page du concours, qui a réitéré l’opération en 2021, nous « rassure » maintenant en indiquant : “Communauté FAN. Aucun lien avec la marque Ricard.”). Les exemples d’incitations à la publicité via des tiers sont légions et passent aussi par des publicités « officielles » participatives, où les alcooliers incitent les internautes à taguer leurs amis.
Tous ces constats soulèvent, encore une fois, plusieurs questions. N’est-il pas temps de réfléchir aux leviers réglementaires pour redonner aux alcooliers leur responsabilité et mettre fin à ces phénomènes de contournements ? Doit-on initier des contacts et informations auprès des influenceurs sur leur propre responsabilité quant à leurs publications ? Doit-on éclaircir la notion de publicité alcool ? Tout cela mérite réflexion car la réalité nous montre la nécessité d’adapter et faire évoluer la loi, face aux nouvelles pratiques et leviers importants offerts aux alcooliers en matière de communication.
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