Décembre 2020

Le cheval de Troie des alcooliers !

Le Dry January, ou « défi de janvier » s’installe dans le paysage français de la prévention, même si cette année, sans doute en raison de l’omniprésence de la crise sanitaire, l’opération semble moins connue des français.

Comme il y a un an, nous avons souhaité observer comment certains alcooliers ou autres opérateurs ont adapté leur communication à ce contexte bien particulier. Sans surprise, certaines marques ont massivement communiqué autours des déclinaisons sans alcool de leurs produits habituels.

Deux de ces produits ont été particulièrement visibles, il s’agit de Martini Vibrante et Martini Floreal, deux spiritueux sans alcool. Ces références apparues en 2020, ont pour but assumé de répondre « aux gens qui recherchent de plus en plus d’alternatives sans alcool lorsqu’ils rentrent dans les bars ». En ce Dry January, le message est somme toute assez simple et invite le consommateur a tester « l’apéritivo sans alcool mais avec 100% de saveurs ». La communication se fait classiquement via les espaces publicitaires des réseaux sociaux et est également relayée par les influenceurs, nouveaux outils publicitaires des alcooliers.

Depuis quelques années, la boisson alcoolisée qui a su être précurseur dans le « sans alcool » est bien sûr la bière. Heineken propose depuis quelque temps sa déclinaison « 0.0 » et n’oublie pas, en ce mois de Dry January, d’attirer l’attention sur celle-ci en surfant sur l’évènement et sur le contexte de nouvelle année : « Et si on recommençait à 0.0, la première zérolution de 2021 ».

Ce n’est cependant pas la seule marque de bière à communiquer plus particulièrement sur les versions sans alcool. La « Desperados virgin » et la « Peroni Libera », deux jeunes références de 2020, mais aussi la Affligem 0.0 de 2019, surfent sur cette tendance.

Toujours sur la bière, c’est également la marque Brewdog qui nous invite à « démarrer la nouvelle année du bon pied avec en janvier des réductions sur les bières sans alcool ». La référence, jeune elle aussi (2019) a un message clair : « et si on profitait du Dry January pour gouter les bières sans alcool et respecter les bonnes résolutions ».

Chez les vins, si peu de choses ont été observées, notons quand même la déclinaison sans alcool de la marque « Festillant ». Celle-ci invite à tenter le Dry January en proposant même un « accompagnement » aux participants : « Faites-nous part en story de votre état d’esprit quotidien, votre ressenti chaque jour qui passe durant ce mois de janvier en utilisant le #FestiJanuary ». Par ailleurs, certains opérateurs des vins sans alcool précisent : « La catégorie est en hyper croissance mais les consommateurs finaux non aguerris ignorent l’existence de telles alternatives, le Dry January permet de les faire connaître pour plus tard ».

Ce mois de janvier voit également l’apparition du site internet « ivresse.club », dont la thématique est, comme son nom ne l’indique pas, les nouvelles boissons sans alcool. L’occasion de revenir sur la marque française JNPR, mise en avant par le site et observée sous forme de publicité sur les réseaux sociaux. Ce « distillat sans alcool », datant de janvier 2020, rassure-lui aussi le consommateur sur la conservation des saveurs : « une longueur en bouche vraiment surprenante pour du sans alcool ».

A contre-courant de ces discours, la bière 8.6 conserve sa communication aux tons rebelles et provoquants. Elle qui se moquait en janvier 2020 de ceux qui prenaient des bonnes résolutions, continue sur le même ton avec le : « on pète la capsule en 2021 ».

Notre avis

En ce Dry January, le « sans alcool » refait son retour, y compris chez les acteurs de la filière alcool !

Il y a eu les précurseurs (bières en particulier) et voilà que tous s’y mettent : producteurs de vins, de spiritueux… avec comme seul leitmotiv cette évidence : communiquer sur ses produits sans alcool autorise, par un tour de passe-passe assez surréaliste d’un point de vue de la santé publique, à communiquer sur ses produits alcoolisés ! Comment ? En ayant des produits qui portent le même nom, dont les packagings sont quasiment identiques et dont les saveurs se rapprochent de plus en plus du « grand frère » alcoolisé (notons que sur ce point, les alcooliers, face à la volonté toujours croissante des consommateurs d’aller vers des produits plus typés, plus goûtus et originaux, notamment dans le domaine des bières, souhaitent déconstruire les idées reçues de leurs produits « sans alcool » en rassurant : on retrouvera dans ces derniers le goût ou les sensations olfactives des produits « avec alcool », comme le met par exemple en en avant la marque JNPR, un spiritueux sans alcool au goût de Gin).

Nous nous posons la question de la cible de ces déclinaisons sans alcool. Autant, les marques de bière d’abbaye type Affligem pourraient ne pas être (principalement) destinées aux jeunes, autant la déclinaison « Virgin » de Desperados ne nous laisse que peu de doutes. Nous ne serions d’ailleurs pas surpris de voir émerger prochainement les versions sans alcool des bières similaires Skoll ou Cubanisto, aux goûts sucrés. En habituant les jeunes à ces goûts, aux marques, à des rituels de consommation, les alcooliers conditionnement les jeunes à leurs produits alcoolisés… et quand ils seront capables de comprendre ce que pourrait leur apporter un ajout d’alcool (en termes de désinhibition, de transgression parfois, de rite de passage à un autre âge…), alors ils pourraient « switcher » vers les produits alcoolisés.

Ce qui nous interpelle également est, encore une fois, la question juridique… Rappelons que loi Evin, dont nous célébrons le 30ème anniversaire, a été pensée, entre autres, pour protéger les jeunes, les distancier d’un certain nombre d’influences, notamment en matière de communication/marketing. Que penser alors de cette possibilité pour les alcooliers de communiquer et « recruter » légalement des jeunes, souvent mineurs, futurs consommateurs de leurs produits alcoolisés ? De deux choses l’une : soit on considère qu’on doit limiter la communication envers les jeunes et ces procédés nous semblent incompatibles avec l’état d’esprit de la loi Evin, soit on considère qu’on ne le doit pas, alors, laissons couler…

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