Flash ADdict n°9
Alcool et ski : les alcooliers, roi de la descente !
La publicité pour l’alcool a investi le domaine du sport il y a près de cent ans (1). Alors que ces premières publicités se limitaient jusqu’à la fin du XIXème à la simple représentation de leur contenant, l’évolution des stratégies de communication vers une personnification des consommations a engendré dans les années 1930 la mise en avant du sport dans les publicités pour l’alcool. Ainsi, dès 1936, Suze, Pikina, et Byrrh mobilisèrent respectivement la figure du chasseur, du randonneur et de l’alpiniste. Les sportifs ont ainsi été parmi les premiers protagonistes extérieurs à l’industrie alcoolière à être mis en avant dans les publicités. La stratégie se poursuivit jusqu’à la fin des années 1950, en mettant en scène des sports davantage populaires : Kanterbrau s’appropria le cyclisme, la blanquette de Limoux s’empara du football quand Ricard ambitionna de faire de son alcool un élément incontournable de la partie de pétanque. L’association sport et alcool se solidifia au cours de plusieurs décennies nourrissant ainsi la mythologie selon laquelle la consommation d’éthanol améliorerait les performances sportives et la bonne santé. Si l’intérêt des alcooliers pour le sport n’est pas récent, il a cependant été encadré par l’ordonnance du 29 novembre 1960, puis par la loi Barzach à la fin des années 1980 et enfin par la loi Evin en 1991.
Cependant, notre observation en mars 2022, à Tignes, du Mountain Shaker (un festival dédié à la board culture composé de trois compétitions de sport de glisse : ski freeride, skate board et ski slope) nous a permis de constater que les alcooliers, au travers de logiques partenariales, parvenaient toujours à investir certains espaces sportifs afin de promouvoir leur marque et inciter à sa consommation. En effet, nous avons pu constater l’engagement direct et indirect de la marque de bières Carlsberg sur plusieurs des événements rythmant le festival. Présentée comme partenaire officiel, la marque a su investir différents espaces, autant lors des compétitions sportives que lors de moments de festivité et de convivialité avant, pendant et après les épreuves de ride, en tenant un stand au village partenaire de l’événement et en organisant des afters ski et des soirées festives. La manière dont les alcooliers s’immiscent dans le paysage alpin en cherchant à promouvoir leurs substances au cours de compétitions sportives nous interpelle et nous questionne tant du point de vue réglementaire que de celui de la santé publique.
[1] Tsikounas, Myriam. « Quand l’alcool fait sa pub. Les publicités en faveur de l’alcool dans la presse française, de la loi Roussel à la loi Évin (1873-1998) », Le Temps des médias, vol. 2, no. 1, 2004, pp. 99-114.
Notre avis
Indéniablement, la présence de la marque Carlsberg sur le village partenaire du Mountain Shaker constitue une publicité directe pour la marque.
Tout d’abord, on peut constater la présence de leur stand et de leur débit de boissons au pied des pistes, en face d’un télésiège fortement utilisé par les skieurs. Il est donc impossible pour les skieurs qui veulent monter vers les sommets qui composent cette partie du domaine skiable de profiter du paysage alpin sans apercevoir le marketing de cette marque d’alcool. On peut alors s’interroger sur les effets de cette visibilité sur les skieurs : cette présence les a-t-elle laissés indifférents ou les a-t-elle incités à une consommation instantanée ou postérieure ? La présence d’individus en tenue de ski (chaussures de sport d’hiver encore présentes aux pieds), bières en main, lors de notre observation du village partenaire le 9 mars 2022 en fin d’après-midi, et celle de ceux présents dans la même tenue dès 11h du matin le 10 mars 2022, nous laisse penser que cette présence des alcooliers n’est probablement pas sans effet sur les pratiques des skieurs. Quid d’ailleurs des dangers du ski après avoir bu de l’alcool ?
Nous avons également pu constater que le stand Carlsberg est aussi celui le plus proche de l’écran grand format diffusant la compétition sportive sur le front de neige. Suivre la compétition dans les meilleures conditions incite donc les spectateurs à entrer dans un environnement où la marque est omniprésente : sur la tente qui leur vend des boissons, sur les chaises longues, mais aussi sur les drapeaux flottants qui sont parsemés dans cet espace. On s’interroge ainsi sur les effets de ces objets publicitaires sur les individus qui y sont confrontés et les conséquences que cela va avoir sur leur perception de la marque. De plus, alors que la taille et la composition des affiches traditionnelles sont réglementées, les objets publicitaires constituent des volumes d’exposition du logo des marques beaucoup plus élargis sans pour autant comporter de manière systématique les mentions légales : sur la tente Carlsberg large de plusieurs mètres, les mentions légales n’étaient visibles que depuis certains angles de vue, ces dernières n’étant pas écrites sur tous ses côtés ; sur les drapeaux volants, elles n’étaient présentes que sur la moitié d’entre eux tout en étant situées qu’en bas du tissu et écrites en caractères fins et réduits; sur les chaises longues, nous ne sommes pas parvenues à les identifier et supposons leur absence. Le partenariat avec les événements sportifs permet donc aux marques de disposer de véritables vitrines d’exposition à travers la mise en avant de nombreux objets publicitaires (ici : tentes, chaises…) dont l’usage est plus faiblement réglementé.
Plus encore, la présence des marques sur les événements sportifs permet également la création de nouveaux contextes de consommation. En se constituant comme débit de boissons et en proposant des espaces de consommation aux horaires élargis, on peut supposer que l’objectif de la marque est de créer de nouveaux temps de consommation : pendant le sport et tout du long de la journée. Cela permet aux marques d’inviter les consommateurs à désenclaver leur consommation de bières du temps des repas et du soir en la rendant possible, légitime et confortable à toute heure. Le vendredi 11 mars, toujours dans le cadre du Mountain Shaker, Carlsberg s’est même associé à l’établissement le Coffee pour un “brunch by Carlsberg”.
Cependant, on a pu constater la présence de Carlsberg également dans les temps de consommation plus traditionnels. Sur le programme du Mountain Shaker, toutes les soirées du jeudi au samedi sont annoncées comme étant en lien avec Carlsberg (et ce, sans présence de mentions légales). On peut lire sur le programme de l’événement “after ski Carlsberg au cocorico” les trois jours de 18h à 21h, “Opening par Carlsberg au blue girl à 23h” le jeudi soir et “Closing by Carlsberg à l’arobaze café à 21h” le samedi. Carlsberg devient ainsi un incontournable de la célébration des victoires sportives et de la convivialité entre spectateurs. Si les marques cherchent à investir de nouveaux espaces et temps de consommation, elles continuent également de mobiliser leurs ressources dans les lieux et temps plus traditionnels de consommation (qu’elles savent propices à la vente immédiate de leurs produits).
Si, grâce à des logiques partenariales (dont il convient d’interroger la légalité de certaines des pratiques qu’elles entraînent), les marques parviennent à disposer d’une grande visibilité au cours de l’événement (en étant présentes directement dans l’espace physique), nos observations numériques nous ont également permis d’observer des formes de publicités indirectes dont ces dernières disposent par l’intermédiaire de leurs partenaires qui mettent en avant leur nom et logo.
En effet, en observant certains éléments de la communication du Mountain Shaker, nous avons pu constater que la marque de bières Carlsberg disposait, par ce biais et une nouvelle fois, d’un espace de visibilité. Elle est, par exemple, le premier logo présent dans la liste des partenaires exposés sur la page internet de Tignes.net dédiée à la Coupe du Monde de ski slope (un des événements sportifs du Mountain Shaker). Plus encore, on peut noter la forte présence de la marque Carlsberg dans l’after moovie de l’événement : le stand Carlsberg est présent dès la 18ème seconde lors d’un plan séquence du village partenaire. On soulignera qu’un focus est fait pour recentrer la caméra sur le seul stand Carlsberg quelques secondes plus tard sans qu’aucune mention légale ne soit présente, ni lors de ce passage ni lors des autres occurrences à la marque. L’after ski au Coco Ricco en partenariat avec Carlsberg est ensuite mis en avant pendant environ 6 secondes (1’15 – 1’21) : on peut alors observer des individus déguisés en train de danser, des verres d’alcool à la main entre deux grands drapeaux volants Carlsberg et un ballon géant de la même marque en arrière-plan. Le plan suivant montre alors une nouvelle fois le stand de cet alcoolier dans le village partenaire, tout en lui faisant succéder une séquence présentant quatre individus en tenue de ski, masque sur les yeux et vêtus d’habits techniques, en train de boire des bières autour d’une table sur laquelle trône une bière en bouteille de la marque Carlsberg. Ces deux derniers exemples nous interrogent ainsi sur le respect par le Mountain Shaker dans son aftermovie du principe de neutralité des contenus évoquant des marques d’alcool. Notre confusion est d’autant plus grande que pendant les dix secondes qui suivent, s’alternent des plans présentant les performances sportives des skieurs et des plans présentant des spectateurs se relaxant sur le stand Carlsberg dont on identifie très clairement le marketing.
L’association entre sport, milieu festif et alcool est donc une nouvelle fois questionnant. En effet, nous craignons que l’investissement des alcooliers dans ces espaces ne devienne, par l’intermédiaire de logiques partenariales, une stratégie discursive ayant pour but de valoriser la marque et ses produits en les associant au sport et aux espaces sportifs (qui sont eux le plus souvent promesses de santé, de bien-être, de plaisir et d’adrénaline). Cela nous interroge du point de vue de la santé publique et nous interpelle sur la marge de manœuvre que la loi offre aux alcooliers. En effet, certaines pratiques licites des marques peuvent également poser question du point de vue de la santé publique. L’observation du Mountain Shaker nous invite ainsi à rester vigilant sur les pratiques des alcooliers qui cherchent encore trop souvent à contourner ou faire fi de leurs obligations légales mais nous incite aussi à s’interroger sur la pertinence de certaines lois qui permettent des pratiques licites mais dangereuses pour la santé des jeunes. De fait, nous pourrions revenir dans de prochains flashs sur d’autres associations entre sport et alcool, car l’exemple du Mountain Shaker n’est pas isolé et n’est qu’une illustration parmi d’autres d’un système dysfonctionnel, dans lequel pratiques problématiques des alcooliers et défauts du droit s’entremêlent et œuvrent à la construction d’un environnement accroissant la vulnérabilité des jeunes au risque de l’alcool.
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